Paroles de vase

Bonjour inconnu, je vais te raconter mon histoire. Je suis un vase jaune. J’ai été déposé au pied d’un conteneur de verres, dans une déchetterie, appelée le Spernot. Je suis là à attendre depuis une petite semaine. J’aimerais que tu m’amènes chez toi car je ne voudrais pas que quelqu’un me jette dans le conteneur de verres. Je ne suis pas considéré comme un emballage et je ne suis pas en verre. C’est peut-être pour cela que l’on m’a pour l’instant préservé. Car je suis en céramique. S’il te plaît, inconnu, aie pitié ! Je suis en sursis. Je ne veux pas être brisé. Prends moi ! Adopte moi ! Je parais, à première vue, ordinaire mais ne remarques-tu pas, inconnu, je suis en train de te parler ! Je parle à ton cœur ! Aie pitié de moi ! Prends moi ! Ne me laisse pas là ! Je veux aller chez toi car ici, je ne suis pas en sécurité !
L’inconnu prend le vase, regarde une dernière fois le conteneur de verres et ... s’en éloigne. Et maintenant, le vase est heureux chez l’inconnu. Mais chose étonnante, le vase ne parle plus. Peut-être parce qu’il n’en a plus besoin. Parce qu’il n’est plus en détresse. Le vase jaune est devenu muet comme une carpe.

Pourquoi, je me trouve là !
Je me sens seul, abandonné de tous dans ce bourbier. Ça ne sent pas bon !
J’ai échappé une première fois à la destruction. Une chance pour moi, je suis un peu ventru, je ne passais pas dans l’orifice du container à verres.
Que va-t’il se passer maintenant ? J’ai peur, un coup de pied et je risque de finir en mille morceaux.
Mais non, après plusieurs heures à attendre dans le froid et après le passage de curieux qui me regardent, m’examinent et passent leur chemin, une main amie me soulève et me sauve.
Un autre destin m’attend ! Il ne faut jamais désespérer.

Vous me regardez. . . Je suis beau, n’est-ce pas ?
Pourtant, je viens de passer trois journées horribles !
Mais, commençons par le commencement !
D’abord, il y a 5 ans, j’ai été CHOISI par une jeune femme nommée Claudie qui voulait faire un beau cadeau à sa maman pour son anniversaire... Être CHOISI parmi beaucoup d’autres vases, très variés, colorés, de tailles diverses... Être CHOISI... pourquoi moi ? pour quoi, pensez-vous ?
Eh ! bien, dans les conversations entendues lors de l’achat, parce que j’étais à la fois grand, beau et discret.
« Maman pourra mettre dans ce vase les grandes fleurs à longues queues qu’elle aime particulièrement . . . » disait Claudie à l’amie qui l’accompagnait. « Des tulipes de toutes couleurs, des dahlias, de beaux glaïeuls rouges, jaunes, même des lys, dont le blanc ressortira bien de son joli jaune léger et brillant. Allez, je le prends ! Il est un peu cher, mais tant pis, pour maman, je peux faire ça ! »
Alors, j’ai vécu 5 ans délicieux : on prenait soin de moi, dans cette pièce unique mais assez spacieuse de l’EHPAD où vivait la maman de Claudie. Mes fleurs étaient souvent renouvelées, apportant leur note de joie et leurs couleurs dans ce logement où la solitude est un risque important... J’entendais des commentaires : « Comme il est joli, ton vase ! » Parfois, la maman de Claudie me parlait, comme on parle à un enfant !
Et puis hélas ! Il y a trois jours, elle est décédée, la maman de Claudie . . . Je ne sais pas qui s’est occupé du déménagement... J’ai entendu (et ce n’était pas la voix de Claudie) : « Ce vase, qu’est-ce qu’on en fait ? – Oh ! On le jette avec le reste ! Regarde, il est bizarre avec son haut brillant et son bas tout terne... Il est moche... ».
Et je me suis retrouvé dans une décharge, seul au milieu de bouteilles, de flacons et de verre cassé... J’aurais voulu mourir !
Alors, comme je la remercie, cette chère Claudie, qui, désolée de ne pas me retrouver dans le déménagement de sa maman, a réussi à me récupérer... à la décharge, dans un tas d’ordures ! Vite, elle m’a emmené chez elle, elle a choisi pour moi la plus belle place près de la fenêtre... elle m’a rempli d’eau et de jolies tulipes... et me voilà aujourd’hui parmi vous !

Où suis je ? Qu’est-ce que je fais là ? Quel est ce bruit ?
Je me réveille, je suis dehors à côté d’un grand truc vert, il y a plein d’objets comme moi, mais ils ne sont pas en bon état, il y a des gens qui jettent d’autres objets, ça fait beaucoup de bruit, moi qui étais au calme, il y a peu de temps.
Je me demande pourquoi on m’a mis là. Avant j’étais dans une maison, où au début il y avait des enfants qui couraient puis les saisons sont passées et la maison s’est vidée. Et je me suis retrouvé seul avec Yvette, c’est elle qui m’avait choisi et qui s’est occupée de moi, elle me décorait de jolies fleurs. J’étais bien avec elle.
Puis un jour elle n’était plus là, je me suis retrouvé seul et quelque temps après, j’ai entendu des gens, je crois en avoir reconnu certains, peut-être les enfants. Ils ont dit "Pfff il y a que des vieilleries ici". Et puis me voilà, j’ai de la chance quand même je n’ai pas été jeté, je ne suis pas brisé. Heureusement je ne suis resté qu’une journée et une gentille dame m’a récupéré et je suis retourné à nouveau au chaud dans une maison, j’espère que je ne retournerai jamais dans cet endroit avant d’être vraiment brisé.

C’est Myriam qui m’a déposé là près du conteneur à verre. Elle ne voulait pas me jeter dans la benne, elle m’a délicatement posé au sol à un endroit bien visible, et avec ma belle couleur jaune je dénote dans ce paysage de déchets.
Elle était triste Myriam de se séparer de moi mais elle n’avait pas le choix. Après des mois de loyers impayés et la fin de la trêve hivernale elle a dû quitter son logement pour ... Elle ne sait pas trop où elle pourra se poser ou même dormir c’est pour cela qu’elle n’a gardé que deux grands sacs qui contiennent toute sa vie.
Je me souviens du jour où elle m’avait acheté sur un marché, j’étais le seul vase dans un stock d’objets de décoration. Elle errait à la fin du marché glanant des aliments que les vendeurs jetaient, et puis elle s’est approchée de l’étal où j’étais posé. Elle m’a pris dans ses mains elle souriait, et le vendeur touché par l’attitude de Myriam lui a dit, vous pouvez le prendre personne n’en veut !
Pendant tout l’hiver je suis resté chez Myriam, quand elle trouvait des fleurs des beaux feuillages elle me garnissait : la belle vie dans cette pièce où Myriam vivait ou plutôt survivait car il n’y avait quasiment rien chez elle.
Et maintenant qu’est-ce qui m’attend ? Est-ce que je reverrai Myriam si un jour ma nouvelle propriétaire me dépose à Emmaüs, car je sais qu’elle y va de temps en temps ?

Aujourd’hui je suis triste car on m’a déposé devant un conteneur de verres.
Je n’ai rien fait pour ça je suis encore solide. Je me demande pourquoi on m’a abandonné ? Pourtant je pensais faire le bonheur de mes anciens propriétaires, je mettais de la couleur dans le réel avec des fleurs qui sentent bon.
Peut-être que je ne suis plus assez joli dans leur nouvel environnement ou que ma couleur les dérange ?
Je suis content qu’on m’ait trouvé et je fais le bonheur d’une autre propriétaire.

Je voyais bien qu’Elle me regardait tristement maintenant. Et sans mon bouquet parfumé, je me sentais inutile.
Que s’est-il passé ? Après avoir été transporté avec précaution je l’avoue, mais dans un sac noir, me voici dans cet endroit qui ne sent pas très bon, moi qui ai toujours dispensé le parfum des fleurs et des branches que j’ai accueillies semaine après semaine, offertes par Elle qui a toujours pris tant soin de moi.
Mais qui suis-je d’abord ? Je suis une création unique réalisée par un artiste après une commande spéciale. Mon apparence première d’argile devenue brillante après avoir été émaillée, m’a donné cet aspect d’un grand et beau vase destiné à être offert.
Ce cadeau Lui a tellement plu qu’Elle m’a couvert de fleurs multicolores, de saison en saison pendant tout ce temps.
Et depuis hier, me voici déposé près d’un bac de verres brisés. Oui, mais déposé délicatement, comme offert à une inconnue qui m’observera, étonnée, sans comprendre pourquoi je suis abandonné là. Cette inconnue m’accueillera comme un cadeau incompréhensible dont elle ne connaîtra pas l’histoire que vous lisez peut-être aujourd’hui.
Les amitiés humaines sont-elles si fragiles qu’une parole incomprise puisse provoquer une telle rupture ? Mais moi, vase fragile, je resterai malgré tout, un symbole d’amitié. J’oublierai peut-être mon chagrin et d’autres nouvelles fleurs embaumeront encore toute une maisonnée
Mais Elle, oubliera-t-Elle ? Le parfum des lilas me chuchote parfois "oui", souvent "non".

Comment suis-je arrivé ici ?
J’étais à Potland et un tremblement de terre fit écrouler quelques maisons.
L’île était trop dangereuse. J’ai dû prendre un bateau, mais ma femme Poline était dans l’autre bateau parce que celui où j’étais était plein. Un jour, les capitaines des bateaux se sont disputés. Ils disaient : "Je vais trouver une ville en premier" et l’autre disait "Non, c’est moi".
J’ai dû dire adieu à Poline quand notre bateau a touché un rocher. On a dû aller dans des bateaux de sauvetage. J’étais le dernier à monter dans un des bateaux parce que j’avais pris de la nourriture. On était deux sur le bateau, moi et Paul. Des nuages noirs apparaissaient et des trucs jaunes sortaient du ciel. Paul dit "C’est un orage" et il a été emporté par une vague.
Moi, je me suis retrouvé sur un meuble géant. J’aperçois un géant qui crie et il me jette à la déchetterie. J’entends un bruit, c’était tous les habitants de Potland qui arrivaient vers moi et ma femme me serra dans ses bras. Une femme me prend avec ma femme et nous vécûmes heureux jusqu’à la fin de nos jours chez elle.

Qu’il est beau ce vase inconnu sur un meuble décoré que j’ai découvert dans une décharge publique. Un être inconnu l’a déposé là. Ce vase a une histoire importante à ses yeux. Je suis un souvenir du passé qui reste dans mon cœur, celui de ma famille qui m’a abandonné sur le chemin de la vie éternelle. Je ne suis pas là par hasard, je suis là pour qu’une personne bienveillante me prenne chez elle et me garde précieusement avec elle, qu’elle prenne soin de moi avec Amour et que ce chemin continue.

Certains humains sont indécis et n’ont aucune personnalité.
Un jour, ils m’admirent car je suis "vintage" et le "vintage" a la cote. Et puis, vous savez, la mode ça va, ça vient. Alors le jour d’après, la tendance est nouvelle et on me donne congé.
Ils me relèguent à un vulgaire objet, quelle insulte !
Je console les fleurs cueillies. Perdues, je les rassure. Belles, je les sublime. Bavardes, j’écoute leurs secrets, leurs histoires singulières jusqu’au jour où elles se fanent ; plus personne pour les admirer, on me les arrache et on me met au placard dans une totale indifférence.
Un beau jour, j’en ai eu marre car je vaux mieux que ça !
Comme un commun accord, on m’a déposé là où les gens viennent jeter les objets mal-aimés en attendant celle ou celui qui saura reconnaître ma véritable valeur.
Aujourd’hui, j’ai tracé ma route, j’ai rencontré des lilas merveilleux et je pose pour des écrivains en herbe !

Oh ! vase découvert au pied d’un conteneur
N’as-tu plus aucune valeur ?
Pour un collectionneur, acheteur, amateur...
Ton design et ta couleur peuvent paraître vaseux !
Et cependant tu as séduit...
Qui sait, combien de fleurs baigneront dans ton eau ?
Avant une première fêlure et ton retour au sein d’un conteneur.

Et pourtant je n’ai jamais rien dit, je suis toujours resté dans un coin sans bouger. J’ai supporté la poussière qui venait s’incruster peu à peu, le manque d’eau, les fleurs croupies. J’ai supporté les regards en coin et les commentaires méprisants : Comment on a pu récupérer ce truc !
Ce truc, c’était pourtant le premier objet qu’iels s’étaient offert, l’un à l’autre, après l’avoir repéré dans la ressourcerie des Biscottes. Comme un symbole de leur aspiration à cueillir le bonheur. Cela les avait même fait rire quand iels avaient vu que j’étais un peu ébréché. Iels avaient décidé qu’iels ne m’en aimeraient que davantage, je devenais unique, et cette particularité les émouvait.
Mais désormais, j’agaçais. Je n’étais plus unique, j’étais ordinaire ; je n’étais plus ébréché, j’étais cassé ; je n’étais plus émouvant, j’étais ridicule. Et surtout je rappelais une autre vie, celle où le soleil et les rires étaient partout et où les bouquets amoureux parfumaient chaque pièce.
Quand les derniers cartons sont partis, iels se sont regardé.es. Plus de cris, plus de pleurs, un grand calme, des yeux embués et un appartement vide, juste elle, lui, et moi, oublié sur le rebord d’un bout du balcon où iels étaient venu.es partager un dernier café.
On fait quoi du vase ? Tu le prends ? Je le prends ? ...
Le pauvre vase ! On ne va pas se battre pour une garde alternée !...
Tu te souviens ?...
Oui, on disait qu’il était unique, on y voyait un signe, il était comme nous, différent, résistant.
On ne va quand même pas le jeter...
Non on ne peut pas faire ça... C’est comme si on jetait notre histoire...
On s’est quand même aimé.es, non ?
... Oui, on s’est beaucoup aimé.es...
Alors, sans même avoir besoin de parler, iels m’ont embarqué dans le fourgon comme un objet à nouveau précieux, et complices une dernière fois, retrouvant leurs vingt ans, m’ont déposé au passage, délicatement, au pied d’un conteneur à verre, offert à qui voudrait fleurir, à son tour, une histoire d’amour...

Messages

  • Quelle belle consigne pour un objet sans consigne ! Un jolie façon de montrer que l’on peut/doit se mettre à la place de l’autre, fut-il un objet inanimé… Vous lui donnez une âme !

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